La guerre de 1870 autour de Metz - suite 8

Du 20 au 31 octobre

Capitulation de Metz

Vécue par un médecin

21 octobre Les prussiens mettront dit-on le chemin de fer à la disposition des blessés.

Lefort se propose de demander pour nous, aux prussiens, un sauf conduit pour Paris.

A l’ambulance on s’occupe de vider les lieux, on a fait partir ce matin 40 malades convalescents.

22 octobre ce qui parait militer assez sérieusement en faveur de la paix, c’est que depuis qu’on en parle, on n’entend plus un seul coup de canon ce qui parait singulier il semble qu’il manque quelque chose.

Depuis quelques temps le service des avant-postes prussiens est fait par des polonais qui sont en excellents termes avec nos soldats et même leur donnent quelquefois à manger.

Il parait que ces petits repas d’avant-postes ne sont pas toujours sans inconvénient. Les prussiens font dire à nos soldats tout ce qu’ils veulent savoir.

Je vais voir Maffre.

Un officier me raconte que d’après les bruits d’avant-postes la paix aurait été signée par la constituante.

24 octobre je déjeune à Coislin chez l’abbé Lamarche, avec Delafosse et un autre médecin militaire.

On affiche une délibération du conseil municipal de laquelle il résulte qu’il n’y a plus de vivres que pour très peu de jours. On met en réquisition les chevaux de la ville pour l’alimentation.

25 octobre Boyer serait revenu ou aurait envoyé une dépêche et il disait que sa mission n’avait pas eu le succès espéré, que l’impératrice refusait de prendre part aux négociations pour la paix.

Changarnier est allé hier à Ars, conférer avec Frédéric Charles. Il est rentré ce matin et reparti dans la journée pour la même destination.

Nous sommes dans une grande pénurie d’argent, Goudchaux hésite à nous en donner. Combien il est regrettable que le comité ne se soit pas arrangé de façon à nous mettre un compte avec le payeur général de l’armée.

Celui-ci au commencement de notre séjour à Metz avait répondu à la demande de Roussel, qu’il se chargerait facilement de nous pourvoir d’argent à la condition que le comité le fit accréditer auprès des ministères des finances et de la guerre.

Des dépêches pressantes furent envoyées aussitôt à Paris par Lefort. Le comité ne se donna pas la peine de répondre. Le blocus arriva et nous en étions réduits aux expédients, faute d’avoir régularisé notre situation.

Il est plus que probable que notre indemnité de ce mois qui échoue aujourd’hui ne nous sera pas remise.

La misère augmente d’une façon effrayante, des habitants, des soldats mendient dans les rues.

La mortalité fait des progrès, alimentation insuffisante et de mauvaise qualité, dépression en sont la cause.

Le gaz d’éclairage devenant rare, un arrêté prescrit aux habitants d’éteindre le gaz chez eux à 7 heures du soir, afin de rendre plus durable l’éclairage des rues.

L’argent manque à la ville aussi bien qu’à nous. Les banquiers principaux ont été réunis hier et on leur a demandé de subvenir aux frais de la défense. La somme quotidienne nécessaire étant évaluée à cent mille francs, ils se sont engagés pour douze cent mille francs. On semblerait donc prévoir encore une résistance de 12jours.

Ce fait montre combien on est las de se battre de part et d’autre. Hier soir un feu assez violent s’engagea entre les avant-postes, la fusillade seule d’abord, puis Saint Quentin qui fera quelques coups de canon. Mais bientôt on reconnut qu’il y avait méprise et l’on fit cesser le feu de chaque côté.

Le service des avant-postes devient dit-on beaucoup moins pénible et même recherché. En effet les soldats qui le font seraient mieux nourris que les autres. Les prussiens les laissent plus facilement faire leurs provisions dans les champs et même certains villages neutres, comme Moulins, seraient assez garnis de vivres pour que nos troupes puissent s’approvisionner aisément. Il y a peu de temps ces villages étaient dénués de tout.

Temps atroce depuis 8 jours, pluie continue et vent. C’est pitié de voir nos pauvres soldats grelottant dans la boue où ils marchent, mangent et dorment.

La mortalité sur les chevaux est considérable, on les voit mourir dans les fossés le long des routes et dans les campements encore attachés à leur corde.

Les survivants sont dans un état pitoyable, ils sont maigres, faméliques, efflanqués, la tête basse, l’œil éteint. La famine les porte à manger tout ce qu’ils trouvent : les arbres, les voitures auxquels ils sont attachés, les pierres mêmes qui sont à leur portée, sont détruites ou entamés. Souvent même ne trouvant pas mieux, ils mangent la queue de leurs voisins.

Aussi voit-on la plupart des chevaux offrir ce spectacle triste et grotesque tout à la fois, de coursiers ornés de queue de rat et dépourvus de crinières.

Les environs de Metz ne sont plus qu’un lac de boue, impossibilité de sortir nous voilà frustrés des quelques distractions hygiéniques que nous offrait la promenade à cheval. Le temps passait plus vite et l’on s’éloignait pour une heure ou deux de l’atmosphère malsaine de la ville.

Le soir la ville est émue par l’apparition d’une aurore boréale. Les gens de la ville apprécient ce phénomène de la façon la plus variée et la plus fantaisiste. Les uns y voient le présage de la fin du monde, les autres n’y aperçoivent que le reflet de signaux que se font les prussiens. Hier soir déjà en rentrant j’avais aperçu une teinte rouge très prononcée sur une partie du ciel.

26 octobre Changarnier serait revenu ce matin et n’aurait apporté que de mauvaises nouvelles. Les bruits de paix seraient faux et le prince Frédéric Charles lui aurait dit tout en le recevant très bien, que l’armée et la ville n’avaient à attendre que la capitulation, laquelle capitulation serait à son grand regret plus dure que celle de Sedan. Les prussiens se plaignent en effet, qu’un certain nombre d’officiers mis à cette époque en liberté sur parole, auraient violé la foie jurée en se sauvant. La capitulation serait signée demain.



La ville de Metz espère prolonger la résistance après la reddition de l’armée, mais il est plus que probable que les prussiens exigeront une capitulation unique.

Comme bruit singulier on peut citer le suivant: le comte de Chambord serait reconnu Roi de France, avec charge de se donner pour successeur le comte d’Eu, fils de prince et gendre de l’Empereur du Brésil.

Pluie toute la journée, le soir ouragan épouvantable, les tuiles, les carreaux, les cheminées volent dans les rues.

27 octobre des personnes venant du Ban Saint Martin affirment que la capitulation est ou va être signée mais qu’elle est décidée et que l’entrée des prussiens aura lieu après demain. Frédéric Charles aurait montré à Changarnier des trains remplis de provisions et destinés à ravitailler Metz.

Coffinières fait afficher une proclamation dans laquelle il annonce que la ville est à bout de ressources. Il fait entrevoir la capitulation. Les affiches sont bientôt lacérées par les habitants.

L’armée est dit-on très mécontente de la capitulation, on parle d’une trouée.

28 octobre On affirme de plus en plus que la capitulation est signée.


Les murs sont couverts de placards et d’inscriptions qui traitent Bazaine et Coffinières de traîtres et de lâches.

On sonne le tocsin toute la journée. Démonstrations nombreuses et tumultueuses de la place de l’hôtel de ville.

Un monsieur Meyer rédacteur de l’indépendant parait à cheval sur la place, harangue la foule, un revolver à la main. En terminant il en tire un coup en l’air, mais son cheval se cabre et sans deux personnes qui se précipitent à la tête de l’animal, notre homme, meilleur (il faut l’espérer) comme orateur que comme cavalier, allait rouler sur le pavé.

De nombreux groupes de soldats dont plusieurs sont guidés par des officiers, sillonnent la ville en appelant aux armes.

On parle beaucoup d’une tentative de trouée à travers les lignes prussiennes qui serait faite ce soir. On se donne rendez vous pour 9 heures à la porte des Allemands.

On rencontre beaucoup de gardes nationaux en armes.

Des bandes de gamins et de voyous qui sont parvenus à prendre des chassepots qu’on rentrait à l’arsenal, parcourent la ville en brandissant leurs armes et envahissent la place de l’hôtel de ville. Des somations sont faites aux bandes qui s’empressent de s’enfuir.

Proclamation du maire invitant les citoyens à la concorde.

Dans la soirée le tocsin sonne de plus belle, des groupes nombreux de soldats armés se dirigent vers la porte des Allemands, en invitant les passants à les suivre. Un bataillon du 2ème de ligne chargé de garder l’hôtel de ville va se joindre à ceux qui veulent sortir.

Coffinières qui ne se sent pas en sûreté, se fait garder par deux bataillons de voltigeurs de la garde.

On dit qu’il y aura demain des troubles au Ban Saint Martin. Des gardes nationaux très nombreux parcourent la ville en armes.

29 octobre La capitulation est affichée, elle est datée d’hier du château de Frescaty et signée Jarras et Stichle.



Les prussiens prendront possession à 10 heures de la porte Mazelle, à 11 heures des forts, dans la journée les troupes seront remises aux autorités prussiennes dans des endroits désignés.

Les officiers rentreront ensuite en ville et garderont leur épée, ils partiront dans quelques jours.

On apprend que Bazaine pour éviter toute démonstration, est parti ce matin à 4 heures.

La trouée qui devait être faite cette nuit n’a pas eu lieu. On est parti de la porte des Allemands, on s’est dirigé du côté de Plappeville en nombre beaucoup plus faible qu’on ne l’espérait. Quand on s’est trouvé du côté des lignes des prussiens, ceux-ci ont envoyé quelques obus et l’on est rentré dans Metz.

La statue de Fabert est couverte d’un long crêpe noir.

Les prussiens entrent en ville musique en tête. Ils entrent par la porte Mazelle, traversent la place Saint Louis, montent en Fournirue et stationnent sur la place de l’hôtel de ville. De là ils sortent par la rue Serpenoise ou la rue des Clercs et la porte Serpenoise.

Un nombreux détachement de cavalerie occupe la place de l’hôtel de ville, les musiques jouent à cœur joie.

Pendant ce temps nos pauvres soldats ont traversé la ville en désordre, brisant leurs fusils avant d’aller les rendre.

Découragement général

Le matin à déjeuner, Liegeois vient nous annoncer tout guilleret qu’il nous quitte pour aller à Étain dans sa famille. Il nous attendra là si nous y passons. Cette précipitation à nous quitter fait le plus mauvais effet.

Chacun ne manque pas de rappeler l’absence complète de service qu’il nous a rendu pendant la campagne, la négligence extrême apportée dans son service et le cynisme naïf avec lequel il a cessé toute espèce de service, dès le jour même ou il a été décoré.

C’est un tollé général, quelqu’un va l’avertir au Pélican où il est allé déjeuner. Il revient donner de médiocres raisons et soumet son départ à notre approbation, promettant de revenir dans 3 jours. L’autorisation lui est accordée, c’est une véritable comédie. Roussel s’élève fortement contre la faiblesse de Lefort qui n’aurait pas dû laisser partir Liegeois, sans un ordre écrit. Lefort répond qu’il ne veut nous donner que des conseils et non des ordres, et qu’il est toujours sûr d’être entendu quand il s’adresse à notre cœur et à notre honneur.

Émotion générale.

30 octobre on loge les prussiens chez l’habitant.

Proclamation du gouverneur von Krummer.

Il blâme les rassemblements qui ont eu lieu dans la ville lors de l’entrée de ses troupes. Il interdit les rassemblements de plus de 3 personnes.

Les établissements publics devront fermer à 10 heures du soir, toutes les lumières devront être éteintes à pareille heure.

Les habitants doivent remettre toutes leurs armes aux autorités.

Ordre donné aux soldats qui restent encore en ville de se rendre immédiatement au fort Saint Julien.

Le pain manque chez les boulangers de la ville, nous sommes obligés de nous en passer à déjeuner. De nombreux marchands prussiens entrent dans la ville et vendent des provisions de toutes sortes.

Lefort nous communique une lettre du médecin en chef des hôpitaux de la ville, dans laquelle il nous remercie des services que plusieurs d’entre nous ont rendus dans les hôpitaux de la ville. Il nous avertit qu’ils deviennent inutiles, le nombre des médecins militaires étant maintenant plus que suffisants pour les hôpitaux, attendu que tous les médecins des différents corps d’armée sont rentrés en ville et ne suivent pas leurs soldats.

Il ne reste plus qu’à rendre les blessés de l’ambulance, nous allons donc être libres bientôt.

Les troupes prussiennes vont bientôt quitter la ville, en partie pour se diriger sur Paris, Lille, Lyon.

L’abbé Lamarche ne voulant pas laisser nos pauvres soldats sans secours a la généreuse idée de les accompagner dans leur captivité. Il demande l’autorisation aux autorités prussiennes qui la lui accordent. Il doit partir demain.

Me sentant très souffrant depuis 3 jours et n’ayant plus d’occupation, je vais me reposer à Montigny auprès de Delafosse. J’y resterai quelques jours en attendant les décisions qui seront prises au sujet de notre départ.

à suivre

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