La guerre de 1870 autour de Metz - suite 6

Du 1er au 10 octobre

Récit du médecin

1er octobre le restaurateur Pagel refuse de nous héberger plus longtemps à crédit, notre dîner de ce soir sera le dernier. Quoique cette maison soit une horrible gargote et qu’elle me laisse peu de regrets, le fait n’en conserve pas moins une triste signification.

L’étendard me mène voir un enfant atteint aussi de fièvre typhoïde.

Les prussiens amènent un corps considérable devant Queuleu, 50 à 60.000 hommes.

2 octobre on dit que les prussiens effectuent leur retraite sur Epernay après avoir été battus devant Paris.

Ils élargissent leur cercle autour de Metz et brûlent plusieurs villages autour de la ville.

Aujourd’hui ils ont bombardé et brûlé Sainte Ruffine, Rozérieulles, Ladonchamps, qui leur avait été repris ce matin.


Un accident arrivé à l’étendard.

Le canon a donné toute la journée de tous côtés, Saint Quentin, Plappeville, Saint Julien, Montigny.

A ce dernier endroit, Chevalet qui se trouvait à peu de distance des batteries françaises répondant à celle des prussiens qui incendiaient Sainte Ruffine, a vu un obus français éclater par accident à une certaine distance au dessus de lui. Un soldat a été blessé au pied assez près de lui.


3 octobre on tente décidément un mouvement sur Thionville. Le 4eme corps Ladmirault a été désigné pour commencer.

La moitié de ce corps mise en marche la nuit dernière, est aujourd’hui à Maizières, endroit situé presque à moitié chemin de Thionville.


Il parait que tous les mouvements exécutés ces jours-ci sur les environs de Metz, avaient pour but d’occuper les prussiens et de masquer ce qui se fait aujourd’hui.

Les soldats ont reçus 3 jours de vivres.

Ce soir pour la nuit, on rencontre dans Metz de nombreuses voitures chargées de vivres. L’heure de ce mouvement des voitures n’est pas celle que l’on prend pour les distributions journalières.

Je vais dîner à Montigny au sacré cœur avec l’abbé Delafosse, où j’y trouve l’abbé Lamarche qui vient d’être décoré.

Hier soir les prussiens ont brûlé la Maxe.

4 octobre madame Cahen nous vient en aide. Le banquier Goudchaux lui avance 20.000 fr sur simple engagement verbal. Elle donne ainsi un bel exemple à ceux qui dans les fonctions de chef, ne voient que l’honneur et la gloriole, sans comprendre ou accepter les charges de la situation.

Nos troupes réoccupent Lessy et Ladonchamps.

La marche sur Thionville ne se confirme pas.

5 octobre les bruits de défaite des prussiens devant Paris restent toujours sans contradiction mais sans confirmation. Nous retombons dans l’ignorance absolue.

Les affaires d’avant-poste sont toujours vives.

6 octobre les prussiens envoient des obus sur Ladonchamps depuis deux batteries établies près de Semécourt. Notre feu les fait taire bientôt.

Ils dirigent une attaque plus sérieuse sur Lessy. Des 3 batteries construites sur les hauteurs de Châtel, ils envoient sur Lessy une pluie d’obus.

Les forts de Saint Quentin et de Plappeville leur répondent avec succès.

Ils tentent d’emporter la position, mais notre feu d’infanterie leur fait un tort considérable. Après 3 attaques inutiles, ils rentrent dans leur retranchement.


Nous ne perdons que 3 hommes et 11 blessés. Les blessures siègent toutes à la tête et sont reçues lorsque les soldats dépassaient leur tête.

Depuis les retranchements de l’Esplanade, on voit parfaitement les feux des deux côtés. Le tir de Saint Quentin effectué à une distance considérable est d’une justesse étonnante.

7 octobre Lefort nous réunit en conseil sur la question de savoir si l’on fera une retenue sur les appointements de B. et P. qui ont des dettes criardes. L’affirmation est adoptée.

Dans la prévision de mouvements de l’armée, on prend des dispositions pour que nous soyons prêts à partir le cas échéant.

Il est certain qu’en ce moment nos soldats n’ont pas du côté de Thionville, dépassé Ladonchamps. Cette fois encore ils se sont trop pressés.

Toujours absence complète de nouvelles de Paris. J’ai remis hier à Lagrave une lettre à destination de Paris. Une personne sûre doit la faire parvenir avec d’autres.

Je monte à cheval à 2 heures avec Good et Boylon nous allons du côté de la Seille puis à Queuleu.

De là, nous voyons et entendons Saint Julien tirer vigoureusement. Nous nous dirigeons de ce côté mais au lieu de rentrer dans Metz pour reprendre la grande route de Saint Julien, nous prenons le plus court par de petits chemins à travers champs et à travers camps. En arrivant sur la route de Sarrebruck à 300 m avant la ferme de Bellecroix, nous sommes surpris de voir des troupes formées en tirailleurs et en costume d’attaque, faisant face à Noisseville et se trouvant dans les mêmes positions qu’à l’affaire du 31 août, mais en nombre beaucoup moins considérable.


Tout est silencieux, mais il va se passer quelque chose très certainement.

Nous voyons passer un général qui se dirige sur Bellecroix. Nous le suivons à une certaine distance.

Au moment où je passais au niveau du petit fort des Bordes, qui se trouve à 30 mètres de la route, j’entends une violente détonation et le sifflement de l’obus qui passe au dessus de ma tête. Mon cheval aussi surpris que moi fait un écart, c’est le premier coup de feu de l’action.

Le fort tire sur les prussiens qui sont du côté de Chieulles. Nous allons jusqu’à Bellecroix où il n’y a pas de blessés ni rien qui nous intéresse.

Combien cet endroit est changé depuis le 31 août, arbres coupés, barricades, créneaux, tout est méconnaissable.

Nous prenons à travers champs, tout aussi est changé, beaucoup de maisons ont été abattues, les autres ont été fortifiées, et nous voyons tous les soldats, l’arme au poing derrière les retranchements.

Le bois de peupliers sur le bord duquel nous nous sommes reposés le 1er septembre est abattu. De son emplacement on domine les lignes.

Nous voyons la fusillade s’engager et la canonnade commencer. Nous descendons dans le ravin de Vallieres et remontons vers Saint Julien.

A mesure que nous montons vers ce fort, le panorama se développe de mieux en mieux, bien que la nuit commence à tomber. Il est 5 h ¼, le fort de Saint Julien qui jusqu’alors n’avait tiré que vers la rive gauche, se met de la partie pour soutenir notre attaque. Les boulets nous passent tous sur la tête.


Arrivé au niveau du fort sur la route à l’entrée du château de Grimont, nous nous trouvons plus rapprochés du feu prussien. Quelques obus éclatent dans notre voisinage. On entend plus qu’un bruit de fusillade, de canonnade et de sifflement d’obus. Good et Boylon qui se trouve à quelque distance de moi voient un projectile s’éclater à leurs pieds.

Nous passons devant Grimont et remontons sur la route de Bouzonville qui domine les deux rives de la Moselle. Là je suis tout surpris de voir que la vallée de la rive gauche est tout en feu, une fumée épaisse couvre Ladonchamps, Woippy, Saint Rémy, les Tapes.

On voit encore les batteries prussiennes d’Olgy et de Semécourt envoyer sur nos troupes leur feu convergeant.

Mais l’obscurité devient plus intense et l’on ne distingue plus que de la fumée et le feu des batteries.


Au pied du fort, sur le versant qui regarde la Moselle, sont des batteries d’artillerie et de mitrailleuses qui viennent de tirer sur Olgy et Malroy qui ont reçu un grand nombre de projectiles.Il n’y a eu que peu de blessés qui sont en route pour Metz.

Je reprends le chemin de la ville. A la pension j’apprends que plusieurs d’entre nous sont partis à Woippy où de nombreux blessés se trouvent et vont être ramenés à l’ambulance.

Je vais dîner au Pélican d’or où j’entends circuler de tristes nouvelles : Strasbourg à bout d’hommes et de munitions a capitulé. Les prussiens occupent les environs de Paris, ils ont brûlé Saint Germain et son château. Paris est bloqué.

Après dîner je vais à l’ambulance où de nombreux blessés viennent d’arriver. Je fais les premiers pansements.

8 octobre Nous avons 6 prussiens blessés légèrement. Presque tous nos blessés français appartiennent aux voltigeurs et aux chasseurs de la garde qui ont été fort maltraités.


Les prisonniers prussiens ont confirmé les nouvelles relatives à Strasbourg.

Vu la quantité de blessés qui arrivent dans la ville et le nombre de fiévreux qui encombrent les hôpitaux, nous nous décidons, tout en gardant l’ambulance, à détacher un certain nombre d’entre nous dans les hôpitaux qu’on forme chaque jour et dont les médecins sont rares.

Lefort fait part de notre offre au médecin en chef des hôpitaux qui accepte avec empressement, assurant que nous aurons dans nos services la plus parfaite indépendance. Je me propose pour un service de fiévreux.

9 octobre Martin et Lagrave prennent chacun un service de chirurgie à la caserne Chambière. On m’offre un service à la caserne Coislin un que j’accepte aussitôt.

Le Saint Quentin tire toute la journée du côté d’Ars.

10 octobre j’inaugure mon service. Lefort me présente à monsieur de l’Estrade, médecin en chef de l’hôpital, qui me fait un excellent accueil.

Je n’ai emmené de mon service que Barborin un de mes sous-aides. Mr de l’Estrade me fit les honneurs des salles qui sont fort tristes et dénuées. Je n’y pourrai faire que de la thérapeutique très restreinte. Les ressources comme alimentation se ressentent aussi de la gêne générale.

Je trouve l’abbé Lamarche, aumônier de l’hôpital, qui avait déjà parlé de moi à monsieur de l’Estrade. Nous prenons ensemble le café matinal et comme il va à Montigny déjeuner avec Delafosse, je l’accompagne. Agréable réunion et précieuse ressource pour moi dans mon exil, que cet ami qui me rappelle mes meilleurs souvenirs et avec qui je puis causer sans contrainte de ceux qui me sont chers.

Les détails qui arrivent de Strasbourg sont navrants, ville bouleversée, habitants tués dans leur maison et dans les rues, la nuit comme le jour, par les bombes. L’évêque mort de ses blessures, carnages, incendies, désolation.

Quelle horrible pensée de songer que les prussiens sont devant Paris et que la malheureuse ville va peut-être subir les atteintes de la faim et des bombes.

Où sont les miens ? N’être pas ensemble dans de tels moments, certes je ne regrette pas ce que j’ai fait, j’ai pu réellement rendre quelques services, mais n’aurais-je pas été tout aussi utile à Paris, et n’aurais-je pas eu la consolation de savoir en sûreté ceux qui me sont chers, ou tout au moins de les sentir près de moi ? Qu’allai-je faire dans cette galère ?

La ration de pain des soldats est réduite à 300gr, aussi parle t-on de la famine et de la capitulation.

Des meilleures nouvelles se présentent. Il serait fortement question d’un armistice et par suite de la paix. A la suite de notre victoire à Etampes, Guillaume aurait parlé de paix en offrant les mêmes conditions que précédemment. Jules Faure aurait refusé ces conditions pour en proposer de plus favorables en négociant.

D’autres disent qu’une armée de 200.000 à 300.000 hommes arrive à notre secours.

à suivre

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