La guerre de 1870 autour de Metz - suite 5

Du 20 septembre au 30 septembre

Signé par le général de Berckheim

26 septembre à partir d’aujourd’hui, les deux pontonniers et la nacelle qui font le service à hauteur de la batterie de la Grange aux Dames, sont mis sous les ordres de l’officier de garde. C’est à cet officier que l’on s’adressera pour obtenir le passage de la rivière. Il veillera en outre à ce que la nacelle soit bien tenue et à ce que l’un des deux pontonniers au moins, soit toujours présent. Aucun d’eux ne devra en tout cas s’absenter sans permission. Les deux pontonniers continueront à être au 9ème bataillon de chasseurs.

Du 20 septembre au 30 septembre
Récit du médecin militaire

22 septembre Le fort Saint Julien tire depuis le matin, je vais de ce côté. Il y a des engagements d’avant-poste.

Ce matin les voitures françaises sont allées faire le fourrage à Lauvallières protégées par peu d’hommes. Les prussiens ont laissé charger les voitures et au moment où elles allaient partir, ils ont démasqué plusieurs régiments qui se sont emparés du convoi.

Bazaine n’a pas voulu rester sur ce léger échec. Il a ordonné qu’un nouveau convoi plus important que le premier, aille prendre du fourrage au même endroit, cette fois le convoi solidement appuyé. Les voitures se chargèrent sans grand obstacle, mais au moment du départ l’ennemi envoya depuis les batteries établies au dessus de Montoy, une grêle d’obus sur les voitures.

Les projectiles arrivaient jusqu’à la ferme de Bellecroix qui en reçut un grand nombre.

Deux des dernières voitures furent endommagées, on les déchargea et les soldats prirent chacun une botte de foin et le tout était rentré sain et sauf.

On évalue à 200 voitures la quantité de fourrage amenée ainsi dans la ville.

Nous n’avons malgré le feu des prussiens, qu’un seul blessé.

Deux régiments de dragons et plusieurs d’infanterie appuyaient le mouvement. Les forts de Saint Julien et Queuleu répondaient aux batteries ennemies.

J’arrive à Saint Julien vers 3 heures. Le lieutenant colonel, commandant le fort, pointe lui-même une batterie de 3 pièces de 24. Je me place à côté de la batterie pour juger l’effet des coups.

On voit du fort, tout le panorama de l’engagement de nos tirailleurs et les dragons qui sont rangés en avant de Bellecroix.

Les prussiens sont en nombre considérable sur la route de Boulay et du côté de Noisseville. On aperçoit parfaitement le feu de leurs batteries, ainsi que la fumée et la poussière de leurs obus tombant devant Bellecroix. Le feu cesse vers 4 heures1/2.

23 septembre nouvelle tentative pour faire du fourrage, cette fois c’est à Chieulles que l’on veut aller. Une vingtaine des mille hommes du corps de Leboeuf suivront seulement le mouvement. Il y a encore un grand retard dans l’exécution.

Les troupes restent pendant 2 heures sur les glacis de Saint Julien, parfaitement en vue de l’ennemi qui ne perd aucun de leur mouvement. Lorsqu’on se décide à se mettre en marche, on voit de nombreux uhlans s’en aller ventre à terre vers leurs camps.

Les prussiens laissent nos fourrages arriver à Chieulles et charger les voitures, mais au moment du départ une multitude d’obus vient pleuvoir sur les nôtres. Le combat s’engage, une vive fusillade éclate, mais l’artillerie prussienne nous force bientôt à battre en retraite. Nous avons une trentaine de blessés et plusieurs morts. Nous ramenons seulement 3 voitures chargées.

Les prussiens avaient mis en batterie une soixantaine de pièces. Nous n’avons pour soutenir le mouvement qu’une seule batterie et 4 pièces de Saint Julien.

On a remarqué que les prussiens ont construit de nombreux ouvrages en terre, où ils viennent abriter leurs batteries sans jamais les y laisser. Dès qu’il y a une action, ils viennent placer leurs canons dans un de ces abris et examinent si ce lieu est convenable comme portée et comme direction. Ils peuvent rester là ou bien se porter à un autre abri qu’ils trouvent préférable.

24 septembre trois d’entre nous vont chercher dans les lignes prussiennes, le corps d’un officier tué hier. Il faut parlementer avec un officier prussien, qui après avoir fait fouiller tout le monde, permet de chercher le corps que l’on trouve déjà enterré.

Un blessé m’apprend qu’on a été chercher du fourrage cette nuit à 11 heures. La veille déjà, même chose toute la nuit.

25 septembre un officier d’état-major fait prisonnier à Sedan et rendu ici, raconte des détails intéressants.

Commandement laissé à Ducrot par Mac Mahon lorsqu’il est blessé, avec instruction pour se retirer sur Mézières. Arrivée de Wempfem qui s’empare du commandement au nom de l’empereur et ordonne la retraite sur Sedan.

Les portes de Sedan sont fermées, on les enfonce et on s’entasse dans les murs sur les places. Les obus venant frapper au milieu de ces foules compactes, font des vides effroyables qui sont comblés aussitôt, pour se renouveler encore. Les portes des maisons sont fermées, les soldats les enfoncent pour s’y réfugier et massacrent les habitants.

Lorsque la capitulation est signée, les soldats refusent de défiler devant le prince royal, en dépit des ordres de Wempfem. Le prince fait poster 6.000 prussiens derrière les nôtres et leur envoient des coups de fusil pour les faire avancer.

Les villages des environs se défendent énergiquement, les femmes, les prêtres prêchent l’exemple. L’un de ces villages est détruit complètement, les prussiens fusillent le curé et une jeune fille attachés ensemble.

26 septembre Lefort nous demande de ne pas nous éloigner, un personnage important lui ayant dit qu’il y aurait peut-être aujourd’hui quelque chose de sérieux. On lui a indiqué le lieu présumé de l’action à condition de ne pas le révéler. Nous devons aller du côté du canon, l’armée cherche t-elle à se dégager ?

La journée se passe sans la moindre alerte, il parait que le personnage important s’était trompé.

Madame Cahen me donne la bonne nouvelle au sujet de la paix.

Un intendant militaire du quartier du quartier général lui a dit sans être officiel que la paix était en bonne voix et que l’attitude de Paris avait donné à réfléchir à l’ennemi.

Bourbaki est parti depuis le 24 pour des négociations ayant obtenu un sauf conduit prussien. Un officier d’état major que je rencontre confirme absolument la nouvelle. Quelle est la mission de Bourbaki ?

D’après les uns il est allé à Paris prendre les ordres du gouvernement provisoire. D’après les autres il se serait rendu auprès de l’impératrice pour traiter la question de la restauration du prince impérial avec l’impératrice pour régente.

27 septembre le canon tonne dans la direction de Queuleu et de Saint Julien. Nous nous donnons rendez vous à l’ambulance à 2 heures.

On dit qu’il y a une action très sérieuse du côté de Peltre. L’action ayant lieu depuis le matin, je m’étonne que le départ se fasse si tard, ce qui nous expose à arriver quand il n’y aura plus rien à faire, mais ça ne sera pas la première fois.

Mon cheval étant malade et les voitures insuffisantes, je pars à pied avec Laugier et Parinaud, bien persuadé de l’inutilité de notre course. Mais il faut être à notre poste et le temps est si beau que nous pouvons nous consoler si nous sommes inutiles, en faisant une belle promenade.

Nous passons la porte Mazelle, le chemin de Queuleu et à la gauche du fort, nous apercevons notre personnel et nos fourgons qui reviennent piteusement, ayant trouvé l’affaire terminée.

Chacun se dispose donc à rentrer. Je monte dans la voiture de monsieur Cahen avec Liegeois et nous allons faire visite au sous- lieutenant Guiard du 60ème, que nous avons eu comme blessé à Borny et qui a repris son service.

Nous trouvons plusieurs officiers qui nous accueillent parfaitement et nous invitent à venir déjeuner demain aux avant-postes.

Le 60e est campé dans un site sur une cote rapide descendant de Saint Julien à la Moselle et couvert de vignes et de bois, ces derniers ayant été coupés par mesure de prudence. De là spectacle splendide, le panorama s’étend à perte de vue sur Metz, Saint Quentin, Malroy, c’est véritablement féerique. Nous entendons quelques morceaux de musique militaire dont l’effet dans ce beau paysage, porte à la rêverie. Comme la pensée s’envole alors vers ceux qu’on aime et qu’on désire tant.

Mais au milieu de ce beau paysage la guerre imprime son stigmate. De plusieurs villages s’élève une fumée épaisse, le feu y a été mis ce matin par nous et par l’ennemi.

Une expédition a été faite ce matin de ce côté aussi. Trois escadrons de chasseurs d’Afrique et quelques compagnies d’infanterie se sont dirigés vers la ferme de la Maxe, occupée par une forte colonne prussienne, 2.000 hommes environ qu’ils culbutèrent à l’arme blanche.

Dans la direction de Malroy, Saint Julien tirait en même temps sur le château de Ladonchamps situé à peu de distance. Les obus y mirent bientôt le feu.

On a ramené une assez grande quantité de fourrage malgré la grêle d’obus prussiens qui accompagnait le retour des fourrageurs et venait jusque dans le camp du 60eme à travers la Moselle interrompre désagréablement le déjeuner des officiers du 3e bataillon et les forcer à camper plus loin.

Il n’y a eu que des pertes insignifiantes de notre côté. On a fait une vingtaine de prisonniers prussiens et on a eu la consolation de savoir que leur déjeuner avait été dérangé aussi bien que celui du 60eme.

On a trouvé en effet dans le château de Ladonchamps, un déjeuner à peine entamé que venait de quitter précipitamment un général prussien. Nos soldats qui n’aimaient rien laisser perdre se sont empressés de faire honneur au repas.

On raconte une assez bonne plaisanterie prussienne : on a trouvé sur la terrasse du même château deux charrues supportant des tuyaux de poêle de façon à simuler des canons.

Du côté de Peltre, l’expédition a été plus fructueuse encore. La brigade Lapasset amenée par un train de 11 wagons, a délogé les prussiens de Mercy le Haut le tout à la baïonnette et soutenu par le tir de Queuleu.

On a pris 60 voitures de fourrage, du bétail en quantité et des provisions de toutes espèces.

Les prussiens ont envoyé force d’obus sur le convoi, mais ils ne sont parvenus qu’à mettre le feu à une voiture. Encore l’a-t-on rapidement éteint.

Nos baïonnettes ont fait merveille, on a rejeté les prussiens sur les batteries de canons et les mitrailleuses cachées dans les vignes, qui leur ont fait grand mal. Nous avons eu une centaine de blessés et quelques morts.


Nous avons mis le feu à Mercy le Haut, à la Grange aux Bois et à Colombey où était l’ambulance prussienne, où nous avons été chercher des blessés le lendemain à Borny.

L’affaire d’aujourd’hui aurait été plus brillante encore, si la trahison ne s’en était pas mêlée. Un de ces marchands qui vendent aux soldats de l’eau de vie et du vin était allé prévenir les prussiens hier. Aussi avaient-ils pris des précautions et fait disparaître beaucoup de choses.

Ils ont entre autres choses, empêché une fort jolie expédition qu’on allait tenter. Mr Dietz, chef des ateliers du chemin de fer, avait construit une locomotive blindée avec laquelle il devait accrocher un train prussien chargé de vivres et le ramener en gare. Malheureusement les prussiens prévenus avaient coupé la voie en avant de leur train. Le train est cependant parvenu à emporter une partie du contenu des voitures.

Le traître a été arrêté.

28 septembre cette nuit les prussiens ont mis le feu à Peltre et à un village de la rive gauche. Comme nous n’avons pas gardé hier les positions prises sur eux dans la matinée, ils les avaient réoccupées dans l’après midi. Ce matin ils les ont abandonnées en incendiant divers villages.

Nous faisons nos provisions, prenons une voiture et nous arrivons à Saint Julien. Nous descendons la voie du petit chemin de fer qui fait le service du fort à la Moselle.

J’arrive à la rivière après avoir été en proie à un vertige assez violent en traversant un petit viaduc jeté sur un ravin assez profond. Le viaduc est en bois et à claire voie. Il faut passer sur des planches jetées le long de l’entre voie, je suis bien aise de retrouver la terre ferme.

Soirée de monsieur Cahen. Plaisir que nous fait cette charmante réunion en nous rappelant un peu notre milieu parisien, déjà si loin de nous. Le canon tonne pendant la première partie de la soirée tirant sur les prussiens qui incendient Peltre.

Nous suivons un sentier tracé le long de l’eau, les sentinelles averties à l’avance, nous laissent passer. Nous arrivons à la grande garde où nous sommes reçus à quelques centaines de mètres de l’endroit où nous étions hier.

Abusés par une trouée dans les mêmes arbres, à 100 mètres des soldats dans les vignes et dans les bois, nous avions fait le coup de feu avec les prussiens. Les coups de feu éclatent près de nous et nous entendons les balles siffler. Le panorama dont il a été question hier se trouvait à nos pieds.

Sur la rive gauche de la rivière nous voyons les sentinelles avancées et les vedettes de cavalerie qui vont et viennent du côté de la Maxe et de Ladonchamps.

Dans les champs à une certaine distance, on voit les fortes avancées des prussiens debouts ou couchés, et plus loin en face de Malroy une batterie prussienne de 6 pièces qui a envoyé hier une foule d’obus à la place où nous sommes.

Nous nous établissons à mi-cote et l’on fait les préparatifs du déjeuner. Le soleil étant très ardent, nous dressons un abri en branchage, ce qui est facile vu que tous les arbres sont abattus. Les soldats font observer qu’il n’est peut-être pas sûr de dresser un feuillage si près des prussiens. Il se pourrait bien que les prussiens nous adressent quelques obus en forme de dessert.

Les officiers nous rappellent qu’au premier obus il faut toujours rectifier le tir en avant ou en arrière, et qu’on a parfaitement le temps d’aller se mettre à l’abri, ce qui devrait être facile ici. Nous nous rangeons à cet avis et nous n’avons qu’à nous louer des prussiens qui nous laissent déjeuner le plus tranquillement du monde. Le repas se fait assis sur des sacs de soldat.

Au dessert un soldat parisien, excellent en campagne et d’une voix de ténor sympathique, nous chante avec beaucoup de charme des chansons et des chansonnettes. On me fait chanter aussi. La journée passe rapidement.

Nous partons à 5 heures ½ et revenons à pied à Metz, le long de la Moselle, par un chemin délicieux où nous retrouvons un superbe coucher de soleil. Nous arrivons à Metz à 7 heures au moment de la fermeture des portes.

29 septembre Lefort se pique d’honneur à l’heureuse idée de madame Cahen. Il se loge à l’hôtel de Metz et prend le même salon dans lequel il nous recevra deux fois par semaine. Jusque là personne de nous n’a encore été reçu par lui. Il a fallu l’intelligence délicate d’une femme qui lui inspirât cette idée et que son esprit l’amenât à l’exécuter.

Des journaux prussiens ont été trouvés sur les prisonniers du 27 septembre.

30 septembre la misère arrive, nous sommes sans argent et nous ne trouvons pas de crédit.

Les caisses de l’armée nous sont fermées. Notre indemnité du 25 ne nous est pas payée. On donne seulement aux aides et sous aides 70 fr d’acompte. Les chirurgiens ne reçoivent rien.

Plusieurs cas de typhoïde : l’abbé Caussonel et une fille de la lingerie.

à suivre

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